Peindre un mur
La nuit, le quartier de mon deuxième projet d’”Espace Symbolique” est le territoire des prostituées africaines. Elles travaillent sur le trottoir mais de préférence depuis leur camionnette. Si la lumière est allumée, c’est qu’elles sont disponibles. Je m’installe. Le mur est plus grand cette fois-ci. Je termine le fond gris appliqué au rouleau à la hâte la veille. L’une d’entre elle s’inquiète de ma présence – il n’est bien sûr pas question de filmer. Une autre, en jambières blanches et perruque blonde, disparait dans un buisson un peu trop près de mon matériel… Les heures passent et nous nous habituons les uns aux autres. Je trace des lignes et des repères. Elles me rassurent. Malgré l’heure tardive, l’usine de la papèterie est toujours en activité. Au milieu du manège des voitures de clients et de proxos, des habitants qui fument ou promènent leur chien. Un CRS en uniforme s’approche. Alerté par un voisin inquiet de ma présence, il m’interroge sur le projet, les autorisations… Il comprend et me sourit. Il est en posté à deux blocs et me propose sa protection… “on sait jamais…”. Je continue. Je trace des cercles avec des cordes et des lignes le long de grandes règles préparées pour l’occasion. La ronde de quatre types en voiture se fait plus pressante. Cette première étape se termine. Il est tard. Je remballe. Le jour, c’est différent. Mes copines ont disparu. Leurs “copains” aussi. Dans un processus répétitif et incessant, je reprends le blanc, puis le gris. Je peins. Le ballet de la nuit est remplacé par celui des camionneurs et des habitants des cités voisines qui défilent dans la zone d’activités. Blanc, gris, blanc… le blanc goutte et le gris couvre. Certains klaxonnent et m’encouragent la pousse dressée. Du blanc. Une deuxième couche à la « queue de lapin ». D’autres s’arrêtent. Curieux. Pourquoi ici ? Pourquoi le quartier ? J’affine les lignes et les courbes pour qu’elles soient parfaites. Je leur réponds que je ne choisis pas le quartier mais la perspective. Ils comprennent, me sourient et me remercient d’être venu « faire ça ici ». Je décide d’utiliser du scotch pour définir les limites. Parfaire l’abstraction. Encore. A mon tour je comprends. Peindre un mur, c’est différent. Une intimité nait de la relation physique que ce geste suppose. Du blanc, du gris. Les passants interagissent. Affranchis des codes. C’est leur quartier. Je comprends alors que ce n’est plus mon mur. Encore du blanc…. Ça ne l’a d’ailleurs jamais été. Je décolle le scotch. Je ne fais que leur rendre ce qui leur appartient. Minutieusement.
Réalisé avec le soutien de la mairie de Bègles et de la Papeterie de Bègles.