La chambre de la rue de la porte de la monnaie – 130 cm x 161 cm
Série de la ligne unique
La semaine dernière, j’ai rendu visite à un ami peintre à Bordeaux. Au hasard de nos rencontres, il me parle des grands noms de l’histoire de l’art, des mouvements fondateurs, des grandes ruptures, des grands inventeurs. J’aime l’écouter. Je lui parle de mes recherches. La semaine dernière, il m’a invité pour la première fois dans son appartement qui est également son atelier. Pas de femme ni d’enfant. Il vit seul avec sa peinture. En ascète. Le rythme de ses journées est complètement erratique. Il peut s’endormir tôt dans la soirée et se lever dans la nuit pour peintre jusqu’au matin, se recoucher et se réveiller pour découvrir son travail à la lumière du jour. C’est un lieu hors du temps. La chambre de Van Gogh. Un petit lit. Très haut et très vieux. En bois, avec un gros édredon rouge de grand-mère. Une table basse. Deux tasses à café et une cafetière froide. Une grande table en bois ovale, délavée, lui sert de support de travail. Une large fenêtre laisse entrer un soleil d’avril très vif. Sur la cheminée, des pots de peintures, des pigments et des pinceaux. Des livres. L’appartement est vide de tout ce qui n’est pas peinture. Le bois du parquet est délavé par le blanc de la peinture nettoyée à la serpillère. Les murs sont recouverts des toiles de la série en cours. Épaisses. Toutes du même format, ou plus exactement de deux formats, sensiblement identiques. Il me parle de Nicolas de Staël, de Piet Mondrian, de Willem de Kooning et plus encore, de la peinture, de l’abstraction, des couleurs, des espaces et du sujet. Je circule en sa compagnie de l’espace à l’objet et de l’objet à la matière. Il me livre des trésors de savoir. Je l’écoute attentivement. Je comprends. Il me perd parfois. Il poursuit. Il me touche. L’épaule, le bras. Il me dit “mon ami”. Je comprends qu’il sait. Qu’il sait quelque chose qui m’est encore étranger. Il insiste avec patience pour que je comprenne. Il fait tout pour. Il veut que je comprenne sa peinture mais plus encore, la peinture. La couleur. Les circulations. Les respirations. Je décide alors qu’à l’issue de cette visite, je ne toucherai plus jamais à un pinceau. Cette décision me rend heureux. Je n’ai plus besoin de peindre puisqu’il est là. Puisqu’il sait et qu’il m’explique. Pourtant, peu à peu je me reprends. Je vois ses toiles. Je ressens la matière sous ses doigts. Je comprends ses doutes, ses errements et ses obsessions. J’ai des pistes. Des intuitions fortes. Je rentre. Tard. Mélanie m’attendait. Je n’ai pas vu filer le temps. Je décide alors de parcourir de Staël et les autres. Pour comprendre. Je fais une toile. Des espaces. Des sujets. Abstraite. Pas de ligne. Une deuxième toile. Des circulations. Des oppositions complémentaires. Je stoppe. Je prends un carnet à dessin et puis… rien. Rien ne vient. Paraphraser de Staël. Pourquoi faire ? Je reprends mon carnet – je quadrille ma feuille. Points et lignes de forces. Rien. Une abstraction. Bien sûr que non. Et puis, une fenêtre. Triangulaire – pénétrante – saillante. Une table ovale, un lit, haut, en bois, … haut, vieux avec un édredon… il sera rouge… des toiles qui débordent, partout. Je suis envahi. A nouveau. Ça y est. Me voilà à nouveau dans l’appartement de la rue de la porte de la monnaie. Chez lui. Dans son atelier. Dans sa chambre, sa table, dans ses toiles. Ses toiles sur les murs. Je suis dans sa peinture…. Ma peinture se déroule alors devant moi. Les couleurs. Le profil de mon ami. Il est rose. Un tapis, vert chatoyant. Une prairie. Et puis une croix. La fenêtre se dessine. Le croisillon supérieur s’incline. Étrangement. La lumière entre dans l’appartement. Incroyable. Les toiles au mur s’interpénètrent pour dessiner un vitrail. La lumière encore. Je travaille alors sans relâche. La toile m’obsède. Elle m’envahit. Je me lève tôt et me couche tard pour y travailler. A n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Erratique.
Et puis, voilà.
Je l’ai finie.
Ce matin.
Elle est là.
“La chambre de la rue de la porte de la monnaie.”
Une rencontre.
Last week, I visited a friend painter in Bordeaux. Every time I meet him, he tells me about the great names from the history of art, founding movements, important ruptures, great inventors… I like listening to him. I tell him about my research. Last week, he invited me for the first time in his apartment, which is also his studio. Neither woman nor child. He lives alone with his painting. As an ascetic. The rhythm of his days is completely erratic. He can fall asleep early in the evening and get up in the night to paint until morning, go back to bed and wake up soon after to discover his work in the light of day. It is a place out of time. Van Gogh’s room. A small bed. Very high and very old. Wooden, with a big grandmother comforter. Red. A coffee table. Two coffee cups and a cold coffee maker. A large oval wooden table, faded, serves as a working support. A large window lets in a very bright April sun. On the mantelpiece, pots of paints, pigments and brushes. Books. The apartment is empty of anything that is not painting. The wood of the parquet is faded by the white painting cleaned with a mop. The walls are covered with the paintings of the current series. Thick. All of the same format, or more exactly two formats, practically identical. He tells me about Nicolas de Staël, Piet Mondrian, Willem de Kooning and more, about painting, abstraction, colours, spaces and subject. I circulate in his company from space to object and from object to matter. He gives me treasures. I listen to him carefully. I understand. He loses me sometimes. He pursues. He is touching me. The shoulder, the arm. He tells me “My friend”. I understand that he knows. He knows something that is still foreign to me. He insists patiently for me to understand. He does everything for. He wants me to understand his painting but even more, the painting. The colour. The circulations. The breaths. I decide then that at the end of this visit, I will never touch a brush again. This decision makes me happy. I don’t need to paint anymore since he is there. Because he knows and he explains to me. Yet, little by little, I reprove myself. I see his paintings. I feel the matter under his fingers. I understand his doubts, his wanderings and his obsessions. I have tracks. Strong intuitions. I come back home. Very late. Melanie was waiting for me. The time has flown. I decide to browse through de Staël and others. To understand. I make a canvas. Spaces. Subjects. Abstraction. No line. A second canvas. Circulations. Complementary oppositions. I stop. I take a drawing book and … nothing. Nothing comes. To paraphrase de Staël. What for? I come back to my drawing book – I quadrille my sheet. Points and lines of forces. Nothing. An abstraction. Of course not. And then, a window. Triangular – penetrating – prominent. An table. Oval. A bed, high, wooden, … high, old with a comforter … it will be red … canvases that overflow, everywhere. I am invaded. Again. That’s it. Here I am again in the apartment of the street of the door of the currency. His home. In his studio. In his room, his table, in his paintings. His paintings on the walls. I am in his painting … My painting then unfolds before me. Colours. The face of my friend. He is pink. A carpet, green, shimmering. A meadow. And then a cross. The window is drawn. The upper lattice tilts. Strangely. The light enters the apartment. Unbelievable. The canvases on the wall interpenetrate to draw a stained-glass window. The light again. I work tirelessly then. The canvas obsesses me. I am overcome by it. I get up early and go to bed late to work. At any time of day and night. Erratic.
So there.
I finished it.
This morning.
She’s there.
“La chambre de la rue de la porte de la monnaie”
A meeting.